Comme vous avez dû le constater puisque vous êtes sur ce blog, il m'arrive de faire des projets persos sur mon temps libre.

Jusqu'à maintenant, le modèle était identique : quand j'ai du temps, il m'arrive de le consacrer à faire des trucs que je trouve cool et qui me sont utiles, et si il se trouve que je pense que ça peut être cool et utile pour d'autres, je le diffuse sur internet. Le point commun de tous ces projets est qu'il sont gratuits et diffusés sans publicité, visible ou invisible (c'est à dire ni bannières clignotantes, ni publi-reportages ou partenariats masqués).

Voici quelques-uns de ces projets bénévoles réalisés récemment : Ce blog, les conférences et ateliers Paris Web, les scripts photoshop, les thésaurus lightroom, phototrack, briefing room (hélas arrêté par manque de temps) ainsi que quelques contributions à des projet fondés par d'autres.

La puissance du web

Pourquoi faire ce genre de choses ? Car elles me sont utiles, et quitte à les avoir faites, je les diffuse, mais aussi car je considère que c'est ce qui fait la puissance d'internet : un savoir et des outils non centralisés qui touchent des sujets qui peuvent être très spécifiques. Combien d'entre-vous ont déjà été "sauvés" grâce à un petit script qui faisait exactement ce dont vous aviez besoin, ou une explication sur un sujet qui fait que soudain vous comprenez mieux toute une problématique ?

La monétisation de contenu : le choix entre publicité et charité

Il y a quelques jours, Nicolas Hoizey me proposait un peu d'argent pour encourager et soutenir le développement des thésaurus Lightroom. C'était très gentil de sa part, et j'ai apprécié le geste, mais ça m'a fait me poser des question sur ce genre de micro-dons (via flattr en l'occurence). Là dessus, Lionel Dricot, alias Ploum est arrivé et m'a donné plusieurs billets à lire qui expliquait le fonctionnement du système. Voilà ce que j'en ai retenu, et mon analyse.

Les micro-dons permettent d'apporter un soutien à un projet qui nous plait

Je comprends le principe, mais je n'y adhère pas trop. Comme je le disais sur twitter, je fais un truc qui me plait et ensuite je l'offre à qui veut l'utiliser. C'est ma conception des choses. Si vous aimez ce que je fais, envoyez-moi un mail, payez moi un verre, parlez-moi de l'utilité qu'a eu pour vous ce projet quand on se verra, et proposez d'aider si ça vous chante.

Honnêtement, je n'ai que faire de quelques centimes que je ne pourrais jamais toucher et qui engraisseront une plateforme au passage (20% quand même), et le projet ne sera pas aidé pour autant. Gardez votre argent (même si je le répète, j'apprécie le geste) et dites-vous Il est beaucoup plus utile d'utiliser le projet, d'en parler autour de vous et d'y contribuer. À mon sens, distribuer des flattr sert surtout à se donner bonne conscience en se disant que de cette manière on offre un soutien, alors que c’est finalement assez faux.

Avant de me proposer un flattr, Nicolas a contribué au projet des thésaurus, et ma proposé son aide sur Phototrack. Ce sont des choses qui apportent vraiment au projet, et qui valent 100000 flattr, au sens propre comme au figuré. C'est vraiment ce genre d'action qui m'encourage à continuer à distribuer des projets et à les diffuser. Aucun flattr ne remplacera l'aide que m'ont apporté un toojee, un stpo ou un samy sur phototrack par exemple.

Vous aimez mes projets ? Soutenez-les en les utilisant, en diffusant leur existence à vos amis, sur internet ou pas, et quand c'est possible en y contribuant. Vous pouvez m'envoyer un mail pour me remercier et surtout me dire ce que vous en avez fait et comment vous l'utilisez (rien de plus gratifiant que de voir qu'un projet est utile aux autres et surtout de voir comment ils l'ont adapté à leurs besoins) ou, comme dit précédemment, payez-moi un verre et on en parle en vrai. Je suis vraiment très curieux de voir comment mes projets sont réutilisés, c’est toujours intéressant ! Faites-moi vos retours d'expérience !

En résumé, je refuse de travailler sans être rémunéré, et je refuse d'être rémunéré quand j'offre quelque chose :)

Le micro-don comme moyen de paiement universel, au delà du simple soutien

Je vais aborder maintenant un sujet différent (bien que lié) et plus profond que le simple don comme soutien. En lisant les articles de ploum, j'ai vu que pour certaines personnes, le concept de micro-dons avait vocation à s'étendre à tous les biens ou services. Et cet aspect va bien plus loin que la question "accepter ou non des dons pour le soutien d'un projet" dont il était question ci-dessus.

À mon sens, ce point de vue vers les micro-dons met encore plus en avant le coté ultra-libéral de certains geeks, souvent dans la mouvance du parti pirate. J'aime lire Ploum par exemple, mais ces derniers temps, ses billets ne parlent que de bitcoin, flattr et autres types paiements qui seraient une alternative merveilleuse au système actuel, et ou chacun payerait ce qu'il veut à qui il veut. Le système actuel est loin d'être parfait, mais je ne crois pas que l'alternative "pirate" soit plus intéressante.

Coucou, tu veux voir mon Bitcoin ?

Dans le monde merveilleux des pirates (dans le sens mouvance parti pirate), on ne paye plus, on récompense. On ne vend plus, on monétise. On ne paye que si on a aimé, et en proportion de ce qu'on a aimé. À lire les articles de Ploum, c’est un système super vertueux et tout le monde y trouverait son compte. il nous en brosse un tableau flatteur dans son billet "le blogueur de demain", qui apparait à mes yeux plus comme une dystopie qu'une utopie.

Est-ce concevable de n'être plus payé pour le travail que l'on réalise mais pour l'appréciation de notre généreux client sur ce travail ? Est-ce que, si ça risque de ne pas vous plaire, il ne faudrait pas commencer par faire des choix et de ne pas commander, plutôt que de refuser de payer une fois le travail commandé parce que le travail ne vous a pas plu ? L'acheteur n'aurait aucune responsabilité dans ce qu'il achète ? Est-ce que tous les métiers peuvent se prêter à cette forme de rémunération ? Avez-vous pris en compte les investissement nécessaires à ce que vous consommez, et les investissements nécessaires au développement de ce que vous consommez ?

Le paiement par micro-don est donc une utopie de riches, dans un contexte précis de services tertiaire ou de bien immatériels, dont les vendeurs sont des personnes qui ont de quoi assurer leurs moyens de subsistances.

Laissez-moi la liberté de vous payer

Dans l'article "laissez moi la liberté de vous payer", Ploum conclut son texte par :

Contrairement à un achat, où je me sens toujours extorqué de mon argent durement gagné, faire un micro don me réchauffe le cœur, me donne le sentiment d’être, à mon échelle, un contributeur. Un sentiment de fraternité.

C'est bien gentil, merci pour ta fraternité, mais tu vois ton argent "durement gagné", moi aussi j'aimerai durement gagner le mien, donc si tu voulais bien me payer normalement le prix que j'ai fixé, ça ferait peut être un peu mal à ton sentiment de fraternité, mais ça me permettrai de vivre au lieu d'espérer ta charité. Et puis ne t'inquiètes pas, tu n'aura pas seulement le sentiment d'être un contributeur, mais tu en seras un pour de vrai. Je ne comprends pas pourquoi payer le prix donné par un achat ne te donne pas ce sentiment.

Un monde beau, un monde sans impôts.

Autre chose qui me dérange dans ces écrits : systématiquement les impôts passent à la trappe, et sont présentés comme un système archaïque et inadapté au monde moderne. Il est toujours souligné que les gouvernements sont "dépassés", puisqu'on ne peut pas payer d'impôts de manière "moderne" (comme par exemple avec une monnaie qui n'a pas cours officiellement). Du coup ben, on paye pas du tout d'impôts, et puis c'est quand même de la faute des gouvernements qui ne s'adaptent pas.

Comme si le coté immatériel et sans frontières des échanges dispensait de faire son devoir de citoyen. C'est magnifique, on vit dans un espace complètement virtuel, c’est trop beau, tout est merveilleux. Mais figurez-vous que les infrastructures qui vous permettent de faire les rigolos avec vos lunettes connectées sont en grande partie prise en charge par l'État, et que vous le vouliez ou non, vous bénéficiez des services et infrastructures de l'État (comme par exemple le fait d'être protégé par la police si on vient vous arracher vos lunettes). Il est donc un peu trop facile de dire que vous ne payez pas d'impôts car "vous ne le pouvez pas techniquement".

Un société ne peut pas vivre avec des citoyens aussi individualistes. Il faut que la dépense publique soit décidée en concertation, puis imposée à tous, on ne peut pas se permettre de laisser chacun payer les impôts qu'il juge justes.

Prévoir pour le futur

Un autre problème avec cette magnifique vision, c'est qu'elle empêche aux vendeurs de bâtir pour l'avenir. Quand un bien ou un service est vendu à un prix X, généralement ce prix ne sort pas de nulle part et intègre des coûts dont seul le vendeur a connaissance : les coûts de fabrication, les cotisations sociales et autres charges, mais aussi la marge qu'il veut en dégager, et la marge qu'il a prévu pour étendre son entreprise (auxquels sont parfois ajouté quelques euros pour atteindre un prix dit "psychologique"). Alors vous êtes bien gentil de le gratifier d'un paiement que VOUS jugez suffisant, mais il y a de grandes chances pour que vous n'ayez pas tous les paramètres en main.

En grands seigneurs, vous proposez de remplacer tout le système économique par un système caritatif basé sur le bon vouloir d'une classe d'individus (ayant déjà un certain niveau de vie et une situation privilégiée dans la société). Merci mais très peu pour moi.

Les défenseurs de ce système s’imaginent toujours un système vertueux, ou du coup tout le monde a envie de se dépasser, et où la qualité générale monte de fait. pourtant il faudrait ouvrir les yeux et se rendre compte que tous les métiers ne sont pas passionnants, et que même si un ouvrier fait la gueule, il travaille et il faut bien le payer quand vous consommez le produit qu'il fabrique. Bienvenue dans le monde réel ou tout le monde n’est pas blogueur à temps plein, enchaînant les Hiltons à Rotterdam ou à Rio. Certaines personne doivent travailler juste pour subsister, et pas forcément dans un boulot qu'ils aiment.

Comparaison avec le modèle publicitaire

Il est souvent mis en avant que ce modèle peut remplacer efficacement le modèle publicitaire, en tirant la qualité des contenus vers le haut. Mais si votre public vous paye au coup par coup, en fonction de ce qu'ils ont aimé ou pas, est-ce que vous pourrez vous permettre d'expérimenter ou de faire des billets différents ? Non, car vous voudrez engranger le plus de revenus possible, et donc, a terme, vous allez formater et calibrer vos billets de manière identique, afin de vous assurer le meilleur revenu.

Cette vision de la monétisation est très immédiate, et ne laisse aucune place à l'originalité. C'est une vision utopiste qui part du principe que la masse fait des choix éclairés, alors que l'expérience prouve plutôt le contraire. Ce mode de paiement "à l'acte" encourage l’individualisme et les sujets faciles et diminue l'innovation du créateur de contenu.

On retombe exactement dans les travers du modèle publicitaire, avec l'avantage d'avoir retiré un intermédiaire (c'est déjà ça).

Dans un monde ou tout est piratable, tu n'as de toutes façons pas le choix

C'est encore un des arguments mis en avant dans chaque billet de Ploum. Je devrais accepter ce mode de fonctionnement car de toutes façons soit on te paye comme on veut, soit on se sert. Bel esprit.

Je suis le premier à dire que les usages doivent s'adapter, et certains métier se renouveler. Il ne sert à rien de maintenir artificiellement grâce à des lois des industries qui n'ont pas su s'adapter. Mais est-ce que pour autant nous sommes obligé d'adhérer à un modèle de charité ? Est-ce que notre travail ne mérite pas autre chose ?

Je produis quelque chose, et il me semble que c’est à moi d'en décider le prix. Ça peut faire un four si je le fixe n'importe comment, ça peut être piraté, mais je refuse qu'on me dise "je t'offre la charité, à un prix que j'estime suffisant sans rien connaitre de tes coûts, alors estime toi heureux que je ne récupère pas ton travail illégalement".

Anti-progrès ?

En lisant ces lignes, il est facile de dire que je refuse le progrès et que je m'attache à un vieux modèle. Pourtant c’est tout sauf ça : je cherche un modèle neuf, mais où les créateurs peuvent gagner leur vie, et ne dépendent pas de l'humeur de quelques personnes. Je suis pour la suppression des intermédiaires, surtout si ils n'ont plus de valeur ajoutée, je suis pour la diffusion numérique, je suis pour les échanges de pair à pair et la distribution directe entre le créateur et son public.

Il faut inventer d'autres modèles économiques, le monde évolue, c’est un fait.

Mais une chose est sûre, c’est que mon modèle économique idéal ne sera pas celui où on me fait la charité si on juge que mon travail vaut le coup d'être payé après avoir été consommé, tout en ne payant pas ses impôts. Ce modèle, sous sa couche de peinture moderne 2.0, n'est rien d'autre que le pire modèle réactionnaire qui puisse exister.