Material Honesty on the Web VS Intellectual Honesty on the Web

Si vous n'avez pas lu l'article en question, l'auteur, Kevin Goldman, nous explique en long et en large ce qui est honnête de designer et ce qui ne l'est pas. Le monsieur a un avis très tranché sur la question, et en gros dès que c'est un peu fifou, à savoir par exemple mettre une image de fond (je n'invente rien) c'est malhonnête. Ses critères sont assez spécifiques et totalement arbitraires. On pourrait s'en foutre si ça n'était pas publié sur un site comme A List Apart, avec dans les commentaires des gens qui adhèrent à fond.

Sont décrétés malhonnêtes et frappées du sceau de l’infamie les images de fond, les images de puces de liste, les border customisées, les ombres, les éléments de site dessiné grâce à un logiciel style photoshop ainsi que toutes les "décorations" qui pourraient être ajoutées à la pureté du code. Sa théorie est que toutes ces fioritures ne sont pas directement reliées au code pur et viennent le dévoyer, et que ça, c'est vraiment malhonnête.

On ne va pas en faire tout un flat

Cet article s'inscrit dans un contexte où le flat design gagne en popularité, et où il est de bon ton de dire que les choix graphiques ne sont que des décorations, que les décorations çaynul, et que seule "l'interface pure" compte. Coïncidence, cette mode pousse le design dans le navigateur à son paroxysme, permettant à des armées d'intégrateurs n'ayant aucun talent en graphisme de se dire que cette fois-ci c'est bon, on va pouvoir se passer des graphistes pour de vrai et faire de bien jolis sites bien honnêtes, débarrassés de toutes ces fioritures inutiles et de surcroît chiantes à intégrer.

Tout ce qui n'est pas directement issu du code est malhonnête

Kevin Goldman nous sert ici une belle arnaque intellectuelle (le petit malhonnête), car il fait semblant de s'appuyer sur des concepts de design objet et architecturaux existants pour justifier son concept complètement fumeux.

Si, depuis les années 1850, des architectes éclairés ont théorisé l'importance du matériau brut sur la décoration, en favorisant un contact direct avec la matière, peut-on appliquer ce principe tel quel au web ? Réponse : NON. Tout simplement parce qu'il n'y a pas de matière palpable dans un site internet.

De l'escroquerie très en vogue de la comparaison architecturale

J'ai remarqué ce phénomène dans le webdesign : depuis l'avènement de la vague hipstero-flato-hype, il est de bon ton de se réclamer d'un courant dont le nom sonne bien et qui colle vaguement au style choisi pour justifier ses choix hasardeux. Je crois que dans cet exercice, c'est le mouvement Bauhaus qui déguste le plus. J'ai même vu une conf à Paris Web ou ce pauvre Bauhaus était tordu dans tous les sens jusqu'à le vider de sa signification première.

Vous avez peut-être remarqué que souvent ce sont les mouvements minimalistes qui sont portés aux nues comme modèle parfait, alors que je pourrais très bien décréter que c'est le mouvement Art Nouveau qui est dans le vrai, et qu'à partir de demain tout site qui ne ressemble pas à un édicule Guimard au milieu du Parc Floral est foncièrement malhonnête. Hé oui, tout cela est très subjectif, et il y a des tonnes de styles artistique en circulation. Choisissez le vôtre et publiez vite votre billet sur ALA !

Il y a toute une discipline, appelée histoire de l'art, qui traite de tous ces courants artistiques et qui permet de les comprendre et de s'appuyer dessus. Souvent, les directeurs artistiques et les graphistes ont eu cette matière dans leur cursus (assez peu hélas en ce qui me concerne), ça ne les empêche pas de dire d'énormes conneries également et de justifier tout et n'importe quoi, mais c'est souvent l'apprentissage de cette discipline fait que justement ils sont DA ou graphistes (et non l'apprentissage de Photoshop, scoop).

En gros, si vous avez juste designé un truc parce que c’est à la mode (ça arrive, et c'est bien aussi), merci de ne pas essayer de le faire coller absolument dans un courant architectural. Si vous faites 3 rectangles colorés sur une page blanche uniquement parce que vous n'êtes pas inspirés et que c’est plus simple à designer dans le navigateur, ne vous réclamez pas du Bauhaus, merci pour lui.

De l'escroquerie de se justifier du design objet

Il est très à la mode également de se réclamer du design industriel pour justifier que son site est certes dépouillé, mais avant tout orienté vers les utilisateurs. L'alibi est de dire que le design est uniquement fonctionnel. C'est une erreur. Les design doit être fonctionnel, c’est une de ses composantes essentielles, mais le design inclut aussi le travail de la forme pour lui donner un sens (sans pour autant que ce soit au détriment de l'utilisabilité).

Cet argument est d'autant plus drôle à entendre que souvent il émane de personne déifiant Apple, une société qui a érigé en quasi religion ce couple esthétisme/fonctionnalisme. Si le design devait mettre l'accent sur le seul aspect fonctionnel au détriment de tout autre, à l'heure qu'il est on aurait tous des thinkpad (et on serait obligé d'utiliser finder, qui lui, ne changerai pas :) )

Le design c'est donc l'association de sens et de fonctionnalité, et personne n'a dit qu'il fallait abandonner la composante "sens" en chemin. Tout dépend également de vos objectifs.

Scoop : une brique est une brique, du CSS c'est du CSS.

En introduction de son billet, l'auteur nous donne une citation qui dit qu'habiller un mur de brique avec du ciment, puis modeler ce ciment en forme de pierre de taille, c’est malhonnête. C'est un point de vue qui se tient. On a pris un matériau palpable (la brique) et on l'a déguisé en autre chose. Malhonnêteté vérifiable : si on casse le ciment, on retombe sur de la brique, et on se retrouve à devoir se justifier sur la qualité de son chantier au téléphone avec Julien Courbet. Pounaide.

Qu'en est-il d'internet, du web et de l'informatique en général ? Est-ce transposable ? La réponse courte : non. Sinon on aurait le droit de ne faire du design qu'en utilisant des composants informatiques comme la carte mère ou le processeur. on pourrait les monter en mobile ou faire des sculptures avec, c'est très joli mais pas super pratique pour diffuser de l'info ou acheter en ligne.

On voit bien toute l'escroquerie de la comparaison ici : l'informatique au sens large est une immense abstraction, ou rien n'est "honnête" (et surtout pas Désiré M'bala qui vous propose ce compte dormant de 20 millions de dollars au Nigéria avec la grâce de notre seigneur Jesus Christ, méfiez-vous).

Kevin Goldman lui-même, quand il écrit son article le cul sur sa chaise de bureau en cuir honnête, n’est pas honnête. Il utilise une tonne d'abstractions (bios, système d'exploitation, navigateur internet, logiciel de traitement de texte, protocoles de communication…) pour pouvoir nous expliquer ce qui est honnête ou pas, sans être lié directement à du matériel palpable. S'il était vraiment honnête, il aurait utilisé une machine à écrire, avec du vrai papier et de la vraie encre, puis il aurait été placarder son texte partout pour nous expliquer à quel point il est important d'être relié à de la matière. Ou alors il l'aurait fait publier dans un journal.

Mais tout ça est encore bien trop malhonnête, si il avait vraiment cru en ce qu'il écrivait, il serait allé dessiner son article sur la paroi d'une caverne en Dordogne, à mains nues, les burnes au chaud dans une peau de bête (l'étoffe la plus honnête du marché)

Hé ouais les gars, on fait ce que l'on veut, ne vous déplaise.

Donc voilà, parti du principe que l'outil sur lequel nous travaillons est une énorme couche d'abstraction, on comprend bien qu'il n'y a pas de méthode plus honnête qu'une autre. Je pense que l'auteur avait dû ingérer des champignons pas super honnêtes avant de se dire qu'il était totalement logique et justifiable de déclarer qu'une couleur pleine en CSS était plus honnête qu'un dégradé, ou qu'utiliser une typo de symboles pour faire un picto est plus honnête qu'utiliser une image en pixel faite avec un logiciel tiers (soit dit en passant, la typo picto elle a été faite avec quoi gros malin ?)

Il va jusqu'à justifier la malhonnêteté de simuler des ombres sur un site avec cet argument sorti de l'espace :

Even lighting effects like drop shadows, form shadows, specular highlights, and reflections are dishonest because there’s no light source inside a digital screen that’s manufacturing these lighting effects.

(Même les effets de lumières comme les ombres portées (…) sont malhonnêtes car il n'y a pas de source de lumière à l'intérieur d'un écran qui pourrait générer ces effets de lumière)

Oui, vous avez bien lu, c'est tellement délirant que c'est devenu une blague entre nous. En effet, il n'y a pas de source de lumière qui projette des ombres à l'intérieur d'un écran LCD, mais, devinez quoi, il n'y a pas non plus de caractères typographiques en plomb, de pistolets à peinture ou de petits moteurs dans un écran. Du coup, peut-on supposer que l'utilisation de typos, de couleurs ou d'élément animés est malhonnête ?

Sur son site, l'auteur a des icônes qui glissent sur l'écran quand on scrolle. Pourtant je n'ai pu déceler sur ces icônes ni roulettes, ni moyen de propulsion propre. WHAT SORCERY IS THIS ?

Ça n'a vraiment aucun sens, et je me demande comment un bullshit intersidéral de ce calibre a pu être publié sur un site de référence que je pensais sérieux.

On voit bien que l'auteur se perd en chemin et ne comprend pas de quoi il parle. On peut deviner l'intention initiale du billet (ne forcez pas sur les effets les kids) mais c’est entièrement noyé dans un délire embrumé où il se retrouve à énoncer ce qui est honnête ou ce qui ne l'est pas sur des bases totalement foireuses.

Marouflage, coussins prunes et dessus de lit taupe : le point déco

Si on fait abstraction de la pitoyable démonstration de Kévin, on comprend en lisant entre les lignes que beaucoup de gens aimeraient croire que le travail du DA et/ou du graphiste devrait se limiter à n'ajouter qu'une petite couche de peinture une fois que les "vrais designers honnêtes" (intégrateur, UX designer…) ont conçu le site.

Je sais que ça semble inconcevable pour certains, mais beaucoup de sites nécessitent une phase de conception d'image, avant même une conception fonctionnelle. Si vous travaillez pour une grande marque, il y a d'ailleurs de grandes chances que le gros du travail ait été effectué en amont et que l'on vous fournisse une plateforme de marque. Tout ça dépendra bien sûr de la cible du site, mais cette phase est rarement négligeable.

Petit apparté : À ceux qui disent "ma cible c'est le web", je leur conseillerai de vite prendre des cours du soir pour cesser de confondre cible et médium, et dans l'intervalle d'arrêter de raconter des conneries.

Du sens partout tout le temps

Il est donc de notre devoir en temps que DA, graphiste, webdesigner de trouver un concept qui ait du sens, afin que la cible se retrouve immédiatement dans un univers qui lui parle, et que les objectifs soient remplis. Ça n’empêche pas de coller en plus à une tendance éphémère pour que votre site soit quand même ancré dans son temps (ou au contraire de s'en affranchir pour jouer avec les codes).

Même si certaines personnes le nient de toutes leur force, le visuel est vecteur de sens. C'est le cas partout, mais bizarrement, sur internet, il faudrait que cette règle n'ait pas cours. Un jour, un groupe d'intégrateurs a décidé que sur le web, le visuel ne devait rien transmettre. Hop comme ça, d'un coup, tirant ainsi un trait sur des millénaires d'histoire.

Je me suis toujours demandé pourquoi. Pourquoi, au nom de quoi, SUR INTERNET, le visuel ne DEVAIT PAS être vecteur de sens ? Parce qu'il y a des aveugles et des déficients visuels ? Cet argument me semble léger.

L'être humain est conditionné par ce qu'il voit, le visuel transmet de nombreuses informations, là où il faudrait des centaines de lignes de textes pour transmettre la même chose. Il y a une part de ressenti énorme liée au visuel. Il est très simple de le démontrer avec l'effet koulechov : 3 images identiques prennent 3 significations différentes selon leur contexte. Et, ne vous en déplaise c’est aussi le cas sur internet qui n'est pas épargné par ce phénomène.

Dans ces conditions, j'ai beaucoup de mal à comprendre l'objectif d'un "design 100% honnête" et cet acharnement à dépouiller les sites internet de tout ce qui pourrait faire leur particularité. Qu'est-ce qu'on gagnerait à ne plus savoir si on est sur le site de la boucherie Sanzot ou sur le site du parfumeur Kenzo ? Qu'est-ce qu'on gagnerait à avoir des sites froids qui ne transmettent rien ?

Je ne dis pas que le dépouillement d'un site ne transmet rien, au contraire, il transmet une certaine information, mais pourquoi la généraliser, étant donné que tous les sites ne renvoient pas le même message ?

Au passage, sur le mythe du "fond totalement séparé de la forme" sur internet, j'aimerai bien savoir combien de personne ont fait une refonte drastique ou un repositionnement de leur site en touchant uniquement les CSS. Si on veut transmettre un message différent, de nombreuses choses doivent être réorganisées, et pas seulement "la couche de peinture".

Oui mais y a des sites super moches qui fonctionnent, c’est bien la preuve que ta déco elle ne sert à rien tocard !

Je sais qu'à chaque fois que j'aborde ce sujet, on me parle de "sites moches qui marchent très bien". Des sites genre Craiglist, Amazon, Le Bon Coin, Wikipédia etc… Déjà, ma première réflexion est : comment pouvez-vous affirmer qu'ils ne "marcheraient" pas mieux si ils étaient designés autrement ? Ensuite, l'erreur commune est de partir du postulat que ces sites n'ont "pas de design", alors qu'ils n'ont juste pas de décoration (et encore c’est discutable). Enfin, moche ou pas, ils renvoient une image, qui apparemment est efficace. Le visuel joue donc bien son rôle.

Quand on va sur le bon coin, il est clair qu'on va y trouver des objets pas chers, et faire un design orné de cuir matelassé ferait surement perdre des visiteurs. Mais ça n’est pas la preuve que du cuir matelassé sur un autre site n'aurait pas au contraire pour effet de faire gagner des visiteurs.

Il faut également bien comprendre que tous les sites n'ont pas pour objectif de transformer/performer à tout prix. Certains ne sont là que pour assurer un rôle de transmission d'image de marque, et ça peut passer par une interface un peu déroutante. Je sais que cet état des choses est une hérésie pour certains, qui pensent qu'un bon site est un site flat avec pas plus de 2 clics entre la home et le paiement en ligne, et pourtant des tests ont par exemple prouvé qu'un tunnel d'achat avec un grand nombre d'étapes augmentait la transformation d'achat pour des produits chers.

Hé oui, l'être humain n’est pas toujours rationnel, et il y a une très grosse part de "ça dépend" qui entre en jeu, n'en déplaise aux acharnés du "vrai web comme on doit le faire".

Notre travail de webdesigner est d'être malhonnête

Tout simplement parce qu'un design honnête ne veut strictement rien dire. Il est de notre devoir de transmettre un message à la cible visée, de guider les gens vers les objectifs définis avec autant d'artifices que nécessaire. Nous devons sans cesse inventer des abstractions et des astuces graphiques qui facilitent la vie des utilisateurs. Parfois ça va être en reproduisant des éléments palpables (skeumorphisme) parfois au contraire en simplifiant une interface au maximum. EN FAIT, ÇA DÉPEND (de la cible, de l'objectif, du périphérique…).

Voilà pourquoi il est périlleux de définir ce qu'est le web honnête et ce qui ne l'est pas, et ça ne m'étonnerait pas de lire dans quelques mois un article sur ALA qui explique que tous les sites se ressemblent, et qu'il est préférable pour l'utilisateur de designer tous les sites sur une base de chromes et de rivets, comme nous l'apprend la glorieuse école de L'art Déco (ou, plus sérieusement, basés sur de l'image animée style vidéo/gif).

On voit déjà quelques designs "flat" se parer d’éléments isométriques, de petites ombres et d'autre subterfuges pour gagner en relief et se distinguer. Ça ne m'étonnerai pas qu'à la fin de ce cycle, on voit renaître des arobases qui tournent en 3D dans les formulaires de contact.

Au lieu d'essayer de définir ce qui est honnête et ce qui ne l'est pas, Marchons en bonne intelligence pour faire des sites de qualité, chacun apportant son expertise que ce soit en UX, design ou code.