Quand un mouvement spontané se créé sur internet, j’aime bien démêler le vrai du faux avant de hurler avec les loups, pour voir si ce mouvement a une vraie raison d’être ou si tout ça n’est que mousse médiatique. Cela permet de se pencher sur les faits et d’avoir une base claire de discussion, loin de l’agitation de twitter. (rappelez-vous, pour le “scandale” CFE et les auto-entrepreneurs)

Taxés à 60% c’est un scandale confiscatoire !!

Je me suis donc penché sur le mouvement des “geonpi” (pigeons en verlan, oui, c’est nul comme nom…) qui a été créé suite à cet article de la tribune. En gros, les entrepreneurs se plaignent d’être taxé à 60% sur la plus-value de la cession de leur entreprise. Ce mot d’ordre est repris partout, sans distinction, et sans connaitre les vrais chiffres.

Il faut dire qu’un bon gros chiffre, supérieur à 50%, ça sonne bien abusif et confiscatoire (plus de LA MOITIÉ mesdames messieurs). En réalité, qui va être taxé, et combien ?

Mais au fait, il sortent d’où ces 60% ?

D’après ce que j’ai compris, le projet de loi (très flou pour le moment, mais autant s’agiter préventivement) prévoit que les impôts sur les plus-values de revente de son entreprise soient “alignées sur l’impôt sur le revenu”.

Si j’en crois ce lien, le taux MARGINAL maximum d’imposition est de 45%. Ça veut dire que vous payerez 45% d’impôts sur chaque euro qui DÉPASSE les 150 000€ par part fiscale. Déjà, on voit qu’il y a une confusion entre taux effectif et taux marginal, avec cette peur tenace, également présente chez le salarié, de “changer de tranche et de douiller à mort”.

Bon, tout ça c’est bien beau, mais ça ne fait pas la rue Michel : par quelle magie on arrive donc à 60% ? En ajoutant à ces 45% (déjà “fictifs”) la CSG/CRDS à 15,5%. Oui, ça n’a rien à voir avec les impôts, ça existait déjà avec le gouvernement précédent, et la loi ne touche pas à ce volet, mais bon, autant l’ajouter dans la balance. Voilà, magie, on obtient le chiffre magique de 60%, qui sonne très bien !

Qui est concerné ?

C’est merveilleux, vu comme ça on ne peut qu’être d’accord avec la fronde des “geonpis”, on s’imagine ce patron, trimant 70h par semaine, qui réussit au bout de 10 ans de dur labeur et de création d’emploi à revendre son entreprise avec 100 000€ de plus-value devoir en donner 60% à l’état vampire et ne garder que 40 000€ pour lui. Honteux n’est-ce pas ? Comment ne pas rejoindre instantanément le mouvement ?

Déjà, il faut savoir que cette plus-value peut être lissée sur les années de détention de l’entreprise. Donc une plus-value de 100 000€ sur 10 ans ajoutera au revenu… 10 000€/an, soit la tranche à 5.50% (on est bien loin de la fameuse tranche 45% !). Ensuite, si les actions sont conservées 12 ans, l’entrepreneur peut réaliser 40% d’abattement sur celles-ci. Pas mal ! (et 5% d’abattement sous les 2 ans, 10% de 4 à 7ans, puis 5% de plus par an au dela de 7 ans)

Et ça n’est pas encore fini ! Cette nouvelle loi concernerait que les entreprises à fort potentiel de plus-value à la revente, pour faire un raccourci : les startups web. N’importe quelle autre entreprise ne dégagera pas autant d’argent à le revente, et les fonds de commerce sont assimilés au patrimoine d’une entreprise. Autant dire que le bar-tabac ou la pharmacie du coin ne sera jamais touchée par cette mesure.

On voit donc que 1) on est loin des 60% automatiques, et que 2) une infime partie des entreprise est concernée.

Ça tue les startups ? Vraiment ?

Il me semble qu’on ne monte pas une entreprise uniquement pour la revente. Certes, ça semble être le modèle de rêve en ce moment, tous les entrepreneurs ont les yeux tournés vers Facebook, Instagram, Seesmic (non je déconne, pas Seesmic), des entreprises créées (dans l’imaginaire) sur un coin de table et revendues des millions. Du coup, tout une frange des entrepreneurs d’aujourd’hui ne rêvent que de trouver la “big idea” et de la revendre une fortune à google et consort. Le produit final importe peu, nous sommes dans une logique ou la seule chose qui compte, c’est d’être racheté.

De plus en plus de services sans lendemains sont créés, tournant quasi intégralement avec des stagiaires, sans se soucier de l’utilisateur, avec pour seul but d’aligner les buzzwords alléchant pour les investisseurs potentiels. Super business plan, qui n’a apparemment rien retenu de la bulle internet en 2000.

Heureusement, la plupart des entreprises créent de la vraie valeur au cours de leur existence, et n’ont donc potentiellement pas besoin de s’inquiéter outre mesure sur leur prix de revente. La valeur de revente ne doit être qu’un “à coté” bénéfique pour l’entreprise, si c’est l’absence de plus-value à la revente empêche d’entreprendre, alors le monde de l’entreprise est tombé bien bas !!

Les investisseurs au manettes

Le mouvement a commencé et s’est développé chez les investisseurs, qui ont réussi à emmener avec eux toute une foule d’entrepreneurs, qui parfois n’ont fait aucun des calculs que j’ai mentionné plus haut. En réalité les vrais entrepreneurs, y compris dans le domaine du web, ne seront que peu touchés par cette mesure, alors que les investisseurs le seront déjà nettement plus. Sans compter que si les capitaux sont réinvestis, ils seront épargnés par la mesure ? Elle est pas belle la vie ?

En fait, ce sont les coups financiers qui seront le plus touché par cette mesure. Selon son bord politique, on peut être d’accord ou pas, mais il est totalement faux de dire que ce sera la fin des startups et de l’entrepreneur !

En résumé, ne soyez pas un vrai pigeon et faites le calcul vous-même au lieu d’hurler avec la meute

Vous ne serez touché par “cette taxe à 60%” si, et SEULEMENT SI :

  • Vous faites une plus-value sur la revente de votre boite
  • Vous revendez votre entreprise avec plusieurs millions d’euros de plus-value
  • Vous revendez votre entreprise avec une grosse plus-value très peu de temps après l’avoir créé (peu de lissage et pas d’abattement)
  • Vous ne réinvestissez pas cette somme dans une autre entreprise
  • Vous avez un revenu salarié confortable en plus de votre entreprise
  • Vous n’avez qu’une seule part fiscale
  • Vous ne prenez pas votre retraite après la revente

En gros, si vous gérez votre entreprise “classiquement”, avec quelques millions d’euros de plus-value au bout d’une douzaine d’année d’activité, que vous êtes père de famille et que vous réinvestissez une part de vos gains dans une nouvelle startup, vous êtes plutôt peinards.

Selon ce billet qui a fait tous les calculs dans le détail, lorsque vous serez frappés par ces funestes 60%, cela signifiera que vous toucherez 432 fois le salaire médian des français, ce qui est somme-toute assez correct.

Autant dire que je pense que dans les faits, peu d’entrepreneurs sont concernés par cette mesure, et que ceux qui le seront auront déjà réalisé une plus-value plus que généreuse sur leur entreprise (et disons-le, souvent liée à une bulle détachée de l’économie réelle, cf instagram), donc je n’ai rien contre ce genre de taxation.

On pourrait toutefois permettre un abattement supplémentaire indexé (par exemple) sur le nombre d’emplois créés au cours de la vie de l’entreprise, pour favoriser réellement les entreprises créant de l’emploi, et ne bâtissant pas leur modèle sur l’emploi massif de stagiaires. Si une boite tourne bien, emploi des “vraies gens”, et fait une grosse plus-value à la revente, pour moi il est juste qu’elle empoche le pactole, car elle a contribué à l’économie réelle, créé des emplois et favorisé la consommation. (encore que, les salariés de ladite entreprise ont prit une part importante dans sa plus-value de revente, mais ne chipotons pas)